Raymond C., un travailleur requis de Dijon interné à Dachau
- Manuel DEMOUGEOT
- 24 oct.
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Dernière mise à jour : 25 oct.
Libres en théorie, les travailleurs requis français étaient en général étroitement surveillés, surtout dans les lieux où ils étaient regroupés en grand nombre comme à l’usine d’Eger. Ils étaient soumis à une répression sévère. Beaucoup connurent la prison, les camps de rééducation (AEL) ou les camps de concentration. Ce fut le cas de Raymond C., compagnon de chambrée de mon grand-père, originaire comme lui de la Côte-d’Or.

Mon grand-père évoque souvent dans ses lettres Raymond C. Il vient de Dijon, c’est un de ses copains de chambrée. Le 1er août 1943, Jean écrit à ses parents que son « copain Raymond C. est maintenant dans la baraque qui correspond à celle qui est en face le tribunal. Depuis 5 jours et c’est sûrement pour 1 mois. Il ne faudra pas vous étonner ni vous faire de mauvais sang pour moi si cela m’arrivait, car cela nous pend au nez à tous. »
Je n’ai pas tout de suite compris à quoi mon grand-père faisait référence avec la « baraque qui correspond à celle qui est en face du tribunal à Beaune ». Puis je me suis souvenu que lorsque j’étais enfant à Beaune, il y avait la prison en face du tribunal[1]. Craignant sans doute la censure, mon grand-père a trouvé cette périphrase pour signifier que Raymond C. était emprisonné.
Une semaine plus tard, il ne prend pas cette précaution et écrit : « Il manquait ce pauvre Raymond C. qui est toujours en cabane pour une raison que nous ignorons. Mais cette chose pourrait bien arriver à n’importe lequel de nous. » (8 août 1943)
Un peu plus d’un mois plus tard, le 17 septembre 1943, il écrit dans un coin en haut à gauche de la première page de sa lettre : « Mon copain C. a été libéré pendant 6 jours et ensuite repris sans qu’on connaisse, ni les uns ni les autres, la raison. »
Ce que dit mon grand-père témoigne de l’arbitraire qui semble être celui du système de répression[2].
Après le 17 septembre 1943, plus aucune mention de Raymond C. dans les lettres postérieures. Aucune nouvelle des suites de sa détention, ce qui est surprenant. Soit les lettres où il en parlait ont été censurées et non envoyées, soit elles se sont perdues en chemin, soit mon grand-père a souhaité taire ce qu'il savait de la situation de Raymond C.
C’est en faisant des recherches sur chacun des compagnons cités par mon grand-père, notamment dans les Archives Arolsen sur les victimes et les survivants du régime nazi, que j’ai découvert que Raymond C. avait été interné au camp de concentration de Dachau le 23 octobre 1943.


D’après la fiche d’enregistrement, il a été arrêté le 29 août 1943 par la Gestapo de Karlsbad. Le motif de l’internement (« Einweisungsgrund ») est écrit à la main et illisible. La mention en haut du document « Schutzhaft Franzose », littéralement « détention préventive - Français », peut donner à penser qu’il s’agissait d’une détention administrative, sans jugement, décidée par la Gestapo. Cela semble confirmer l’arbitraire de son arrestation et de son internement. Il est possible que Raymond C. était juste une forte tête qui ne voulait pas rentrer dans le rang et manifestait des gestes ou tenait des paroles d’opposition. C'est ce que suggèrent aussi les lettres de mon grand-père qui écrit que ce qui arrive à Raymond C. pourrait arriver à chacun d'entre eux.
Il a été libéré le 29 avril 45. Il est rentré en France dans la région dijonnaise. Il a gardé le contact avec mon grand-père. Mon père et mes oncles entendaient parler du « Cartouche » (c’était son surnom, comme le célèbre brigand du début du XVIIIe siècle qui a fait l’objet de plusieurs films dont un en 1962 avec Jean-Paul Belmondo). Il était champion régional de cyclisme et participait notamment dans les années 1950 au cyclocross de Volnay à 5 kilomètres de Beaune.
C’est moi qui ai appris à mon père et mes oncles que Raymond C. avait été interné au camp de Dachau.

[1] La prison de Beaune a été détruite en 1986 pour faire place à un projet immobilier : https://archivesbeaune.wordpress.com/2016/08/22/la-prison-de-beaune/
[2] « L’arbitraire du système de répression est frappant. Toute bagatelle ne donnait pas forcément lieu à des poursuites tant que les décisions relevaient des responsables du camp ou des supérieurs dans l’entreprise, et non de la Gestapo. De même l’appréciation d’un fait identique et sa sanction étaient variables. », Helga Elisabeth Bories-Sawala, Dans la gueule du Loup. Les Français requis du travail en Allemagne, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2010, p.140





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